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Sortie champignons

Samedi 3 février 2024 à 14h30

Cette sortie inaugurée l’an dernier avec une cueillette suivie d’une conférence en salle est organisée cette année dans la truffière de Jean-Pierre et Yolande Braye qui nous accueillent très gentiment sur site. 
Le rendez-vous était fixé au parking du gymnase à Beaulieu à 14h30 pour se rendre ensuite à pied sur site. Le beau temps est de la partie. Une vingtaine de personnes ont répondu présentes.
Franck Richard, professeur à l’Université de Montpellier dans le département Biologie, Ecologie et Évolution nous accompagne dans cette sortie ainsi qu’Yves Caraglio, botaniste et référent scientifique de l’association A.R.B.R.E.  

1 – Généralités

Par truffe, on parle de la fructification d’un champignon souterrain (ascomycète hypogé) qui se développe en symbiose avec un arbre dit truffier – chênes, noisetiers, tilleuls… – souvent dans un sol calcaire. La truffe est très recherchée des gourmets pour ses arômes complexes et exceptionnels. On recense des dizaines de variétés de truffes dans le monde (certains parlent de 250 variétés, mais pas toutes comestibles), dont une vingtaine poussent en France. On les reconnaît à l’odeur.
La plus connue est la truffe noire ou truffe du Périgord (Tuber mélasnoporum), originaire de la Drôme, du Vaucluse, et du sud-ouest.  Elle est noire avec de fines nervures blanches. Elle se récolte en hiver. Les professionnels se servent de chiens truffiers ou de cochons pour les trouver, puis on les déterre délicatement (on les cave, du nom de l’outil le cavadou). Elle est considérée comme le saint Graal des amateurs de cuisine. Sa saveur intense et sa texture moelleuse en font un atout majeur dans de nombreux plats gastronomiques. Son parfum puissant rappelle celui du chocolat et du sous-bois. 

La tuber brumale ressemble à la truffe noire, de petite taille (noix, œuf). La chair est gris noire marbrée de veines blanches. Son parfum est musqué, assez puissant. Elle se récolte également en hiver.

La Tuber borchii

C’est la cousine de la truffe d’Alba (la truffe blanche d’Italie, Tuber magnatum). C’est une truffe de petite taille (1 à 7 cm pouvant atteindre 10 cm). Sa consistance est charnue et son goût intense. Son odeur est aussi puissante, très aillée.
Elle se développe sous les chênes verts et les chênes kermès mais aussi sous les pins sylvestres, un peu partout en Europe. Elle est donc moins rare que la truffe d’Alba. Elle possède des qualités et des saveurs proches de la truffe d’Alba mais à des prix moindres. La période de maturité de la tuber borchii se situe de mi-janvier à fin avril. C’est la truffe la plus courante dans les produits à base de truffes blanches.

Pinus halepensis mycolactaire.

La truffe mesentérique (Tuber mesentericum) : Petit fruit noir doté d’une belle fossette, la mésentérique cache la chair marron, tendance cacao, veinée de micro-sillons blancs. Coupée, elle dégage un arôme puissant, parfois qualifié de médicamenteux, ce qui n’est pas sans lui jouer des tours. “ Son parfum est si fort qu’il décourage certains cuisiniers ”. 

Le terroir doit présenter les caractéristiques suivantes :

  • un sol calcaire : Afin de développer leurs aromes, les truffes ont besoin d’un sol riche en calcaire.
  • un climat tempéré : Les truffières prospèrent dans des climats modérés avec des étés chauds et des hivers froids.
  • l’aération du sol : Il est important que l’air circule facilement dans le sol pour permettre aux spores de se propager.

La mycorhization, c’est-à-dire l’association symbiotique entre les racines d’un arbre et un champignon, est essentielle à la formation des truffes. Cette alliance donne naissance à un réseau complexe qui favorise l’échange de nutriments entre les deux organismes. 

Pour la récolte, historiquement, on utilisait des cochons pour découvrir les précieuses truffes. Ces animaux sont dotés d’un odorat très développé qui leur permet de dénicher les champignons sous plusieurs centimètres de terre.
Aujourd’hui, c’est le chien truffier, plus facile à maîtriser que le cochon, qui est privilégié. Qu’il soit Lagotto Romagnolo ou autre race, le chien est dressé dès son plus jeune âge pour la recherche de ce met si particulier. Les bâtards font aussi l’affaire nous précise Jean-Pierre Braye.

La truffe se fait rare et son prix flambe. Éprouvé par des étés de plus en plus secs, le précieux champignon risque de disparaître. L’INRAE coordonne un programme de recherche participative pour comprendre et contrecarrer les effets néfastes du changement climatique sur la production de truffes. L’institut a publié en 1999 un ouvrage intitulé : « La truffe, la terre, la vie » par G. Callot, P. Byé, M.Raymond, Diana Fernandez, J.C. Pargney, A. Parguez-Leduc, M.C. Janex-Favre, Roger Moussa , Loic L. Pagès.

2 – Visite de la truffière de Yolande et Jean-Pierre Braye 

Nous sommes à proximité d’une nouvelle plantation de chênes mycorhizés à 80 % en pépinière créée il y a cinq ans. C’était à l’origine un bois avec des fourrés. Il a fallu embaucher une équipe de coupeurs et dépierrer d ‘où la construction à la suite de murets en pierres sèches par Yolande pour qui c’est une vraie passion. 

Il faut compter 6/7 ans avant de récolter des truffes et permettre au système racinaire de se mettre en place. La durée de vie d’une truffière est courte : en moyenne 22 ans pour une quinzaine d’années de production. Elle peut subir les assauts des sangliers et l’aphyllanthe de Montpellier pose problème.

Les champignons pionniers sont remplacés par d’autres. Il faut un milieu ouvert. Les chênes peuvent aussi changer de partenaires mycorhiziens. Le mycelium présent à 20 cm dans le sol brûle les plantes, prélève le phosphore, l’azote et les transfère. Il y a des terroirs à truffes. 

Autrefois la plaine de Beaulieu offrait une terre profonde sans pierres propice aux sols truffiers. On pouvait récolter des truffes très rondes.

A côté du terrain cultivé, il faut toujours garder un terrain témoin afin de conserver une diversité de champignons. 

La récolte a lieu entre fin novembre et fin février pour laisser les spores préparer la récolte prochaine.

Jean-Pierre Braye rappelle qu’il faut un bon terrain, de l’eau et de la patience et se méfier de ce que disent les gens. Il faut rajouter des spores à partir des truffes récoltées sur le terrain et non commercialisables.

Les pièges à truffes favorisent la production, la colonisation et la mycorhisation. Il rappelle que Gabriel Callot, un des auteurs de l’ouvrage cité ci-dessus, spécialiste des truffes se rendait sur place dans les truffières. 

Il existe aussi la truffe d’été qui bénéficie des pluies de l’hiver et se récolte en mai-juin. Elle est vendue aux alentours de 200€ le kilo au lieu de 1 000€. Elle est moins consistante en arôme.

Il précise qu’il faut éviter des erreurs de gestion entre les arbres qui nourrissent et les arbres qui produisent.

3 – Conférence de Franck Richard

A la suite de la visite de la truffière, les participants sont invités à découvrir une approche scientifique de la truffe dans une des salles du gymnase à Beaulieu en compagnie de Franck Richard et Yves Caraglio.
La truffe est un champignon de mieux en mieux connu. Les apports récents du Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive de Montpellier ont été présentés par Franck Richard  le 21 janvier 2024 au salon de la truffe de Jarnac (Charente) en présence de 250 personnes, avec pour thème : Biologie et Ecologie – l’art de vivre avec les autres . Le conférencier nous présente une partie de ce diaporama.

Nous vivons une époque compliquée avec le manque d’eau dans certaines régions, situation illustrée par une truffière naturelle à Perpignan privée de pluie depuis 18 mois.
Il existe des truffières naturelles avec des chênes âgés de 150 ans. Quatre générations ont cultivé des truffes. 
Aujourd’hui avec des étés de plus en plus chauds et secs, le problème de l’eau se fait sentir cruellement. Il y a un effet boule de neige si on peut s’exprimer ainsi. 
La science peut-elle aider à faire face à ce phénomène ?
L’économie de la truffe est de mieux en mieux comprise et source d’innovations culturales pour demain.
80 % des « brulés » (zone sans plantes conséquence de la présence de la truffe) fournissent du mycelium dans le sol qui rencontre des racines et les colonise. Il s’agit de filaments très fins interconnectés. Il y a une interaction étroite entre la truffe noire et ses « plantes compagnes » à l’origine du brûlé.
Dans chaque truffe souterraine et odorante des millions de spores résistent à tout même au tube digestif des animaux.
De nombreuses espèces produisent des truffes comme le genévrier dans la truffière naturelle de Perpignan. Dans les laboratoires on organise des mises en scène expérimentales dans des bacs avec des « compagnes » différentes. Le mycelium est cultivé par les plantes « compagnes, » le chêne profite de l’apport du phosphore et de l’azote. Le mycélium permet aussi d’aller capter l’eau dans des parties du sol inaccessibles aux racines de la plante.

Quelles perspectives pour la culture ?

L’hôte et la strate herbacée sont les deux jambes d’une économie complexe de l’espèce. « L’herbe » profite à la truffe et à l’hôte.
Pour la reproduction on utilise des pièges à truffes (cf. Truffière Patrick Savary) contenant des spores, du terreau, de la terre et de l’épandage. La fructification s’effectue en limite du sol.
L’ensemencement, une technique pour améliorer la production, a lieu depuis plus d’un siècle. Un livre écrit en 1904 en parle : Les truffières et la trufficulture.
On utilise aussi les pièges pour comprendre la reproduction. Sur 11 sites on a observé 9 924 pièges avec une part variable de la production. Les explications :

  • l’effet coup de pioche (aération du sol)
  • l’apport de spores (diversification)

On sollicite la combinaison des deux. 
Environ 59 à 87 % des truffes sont « oubliées » par les chiens truffiers. Pour trois sites observés et selon les pièges utilisés on obtient les résultats suivants en pourcentages :

site 1site 2 site 3
Pièges inoculés5027,820,8
Pièges non inoculés66,733,3 11,1

Le coup de pioche dynamise le mycelium. Il a un effet inoculant et favorise la colonisation du sol. 
Le piège constitue un microsite qui intensifie la production des arbres.

Aujourd’hui on peut procéder au séquençage du génome pour comprendre les forces et les limites de la truffe. Il s’avère ainsi que la truffe Tuber melanosporum est incompétente pour dégrader la matière organique.

On revient aux perspectives de la culture de la truffe en France.
Les matières organiques profitent aux champignons concurrents de la truffe. L’arrosage sous l’arbre permet aux concurrents d’asseoir leur supériorité catabolique sur la truffe car il faut des enzymes pour digérer la matière organique, enzymes que ne possède pas la truffe.
La plante a besoin de voisins et de collectif.

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A l’issue de cette présentation, nous remercions Yolande et Jean-Pierre Braye pour leur accueil sur site et leur témoignage vivant de la culture de la truffe ainsi que Franck Richard pour son apport scientifique toujours très précieux. 

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Régine Paris avec la relecture attentive d’Yves Caraglio

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