Samedi 22 octobre 2022 à 18h – Salle du Pic Saint-Loup à Beaulieu (34160)
L’Humanité face au déclin de la biodiversité
La salle du Pic Saint-Loup, mise à disposition par la commune, accueille une cinquantaine de personnes.
En introduction, Jacqueline Taillandier, présidente de l’association, rappelle brièvement l’historique, les objectifs et les activités poursuivis depuis dix ans par l’ARBRE : animations par des spécialistes dans les écoles des deux communes, sorties botaniques, géologiques, ornithologiques et batraciens, plantations d’espèces méditerranéennes dans les deux parcs botaniques à l’occasion des naissances, création d’un sentier botanique dans les carrières de Beaulieu, conférences-débats, déplacements doux.



Yves Caraglio, botaniste et chercheur au CIRAD, référent scientifique de l’association, présente les deux intervenants de la soirée : Mickael HEDDE, Directeur de Recherche à l’INRAe[1] et Alix Cosquer, chercheuse du CNRS[2] au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive de Montpellier.
Mickael Hedde a centré son propos sur la vie du sol à travers un diaporama disponible sur le site Internet d’ARBRE : Présentation de Mickael Hedde.pdf
Les premières images nous sensibilisent sur la notion de sol qui à première vue se présente comme une surface plate, uniforme et artificialisée. Quand on décape les premiers centimètres on découvre un volume complexe et très diversifié, organisé en horizon : dans 90 % des cas un sol c’est ça avec une formation sur des milliers d’années. Les deux photos suivantes montrent un ours blanc, un loup, un éléphant, un papillon… perçus par le plus grand nombre comme la biodiversité terrestre alors que dans 99,9 % elle est constituée d’algues, amibes, mille pattes, tardigrades, vers de terre, bactéries et champignons… Ainsi un quart des espèces vit dans le sol. Elles sont de tailles diverses, de la mégafaune à la microfaune.
A partir des années 1970 les scientifiques ont décrit les organismes du sol. Mais l’intervenant rappelle que Darwin à la fin du 18ème siècle passait plus de temps à observer les vers de terre qu’à construire sa théorie de l’évolution.
L’objectif était de repérer toutes les espèces de vers de terre. Au fil des années on en a dénombré une centaine dans la région de Montpellier mais seulement 22 en Guyane avant 2010 et 144 depuis ce qui fait un total de 166 espèces pour ce seul département ultramarin. Plus c’est petit, moins on connaît. Un graphique montre les espèces connues et les espèces probables à découvrir en fonction de la taille des organismes. 20 nouvelles espèces ont été décrites en France depuis 2019.
[1] Institut National de la Recherche Agronomique et Ecologique – [2] Centre National de la Recherche Scientifique
Au début des années 1970, un chercheur montpelliérain, Marcel Boucher, a parcouru la France avec un camping-car pour faire des repérages de vers de terre qu’il notait sur une carte (1400 points au total). Ce serait intéressant de revenir sur ses pas pour voir ce qu’il en est cinquante ans plus tard. Les changements de pluviométrie en forêt ont des effets sur les vers de terre. Le climat a modifié leurs communautés qui doivent s’acclimater. Ainsi dans le Massif Central, entre 1972 et 2022 des espèces sont remontées en altitude. On constate aussi des invasions biologiques avec des espèces non indigènes.
A la suite des grandes glaciations anciennes, l’Amérique du Nord était dépourvue de vers de terre. Ils sont arrivés plus tard par les bateaux lestés avec du sol ce qui a entraîné des modifications au niveau des cultures et la volonté des américains, à la différence des européens, de tuer les vers de terre…
La biodiversité est menacée par le travail du sol et l’utilisation de pesticides qui modifient les réseaux trophiques des sols agricoles.
Avec l’urgence de l’anthropocène on continue à découvrir de nouvelles espèces de collemboles dans les névés des Pyrénées mais les névés vont disparaître…
Un dessin montre les facteurs d’appauvrissement des sols: changement d’affectation des terres, espèces envahissantes, perte de la biodiversité de surface, pratiques non durables de la gestion des sols, pollution, changement climatique, imperméabilisation des sols et urbanisation, feu sauvage, dégradation des sols.
Il est difficile de dire quand le système commence à s’écrouler. Il y a un capital à conserver pour ce que l’on connaît et ce que l’on ne connaît pas. Il faut repenser l’agriculture, faire un pas de côté, limiter les intrants et pour arrêter cette érosion, sensibiliser, plaider pour la biodiversité cachée, gérer durablement.
On peut consulter sur le diaporama des documents produits par la FAO[1] sur les causes d’appauvrissement des sols et les remèdes proposés ainsi qu’une vidéo.
En complément Mickael Hedde évoque une étude menée en Allemagne sur une durée de 50 à 70 ans concernant la perte des insectes (nombre et fonction). Aujourd’hui on a identifié environ 4 000 espèces de vers de terre connues. Il y en aurait 6 000 à 10 000. Pour cela on fait appel à la modélisation. Jusqu’ici on sacrifiait des animaux pour les identifier. On dispose aujourd’hui des méthodes moins invasives (scanners et signatures génétiques).
[1] Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture
A la fin de ce premier exposé, Yves Caraglio assure l’intermède avec la seconde intervenante en observant que nous marchons sur le sol en ignorant sa composition alors que tout le système est peut-être en train de s’effondrer.
Alix Cosquer prend la parole pour parler des aspects humains et environnementaux suite aux bouleversements climatiques et de dégradation de la biodiversité. Son diaporama est également disponible sur le site Internet d’ARBRE : Présentation de Alix Cosquer.pdf
Elle propose de penser notre lien à la nature. Il va falloir changer nos manières de vivre avec des actions rapides et de grande envergure (cf. le rapport du GIEC[1] de juin 2021).
Elle déplore une forte inertie face aux enjeux environnementaux. Cette détérioration serait due à la diminution du contact avec la nature, un éloignement physique et psychique. Elle s’interroge sur les relations que nous entretenons avec le vivant compte tenu des transformations sociales (sédentarité, transports, urbanisation, multiplication des écrans…). La nature serait de moins en moins présente dans notre vie. Plus de la moitié de la population mondiale vit dans les villes et en France cette proportion atteint les trois quarts. L’expérience serait de plus en plus indirecte et procurerait moins d’émotion. Elle évoque une amnésie générationnelle environnementale.
Elle tempère son propos en constatant que les enjeux environnementaux sont mieux connus surtout par les jeunes. On a pu constater pendant l’épidémie de Covid un phénomène d’attrait maintenu pour la nature et l’émergence d’un mouvement de fond avec le désir pour une partie de la population de s’installer ailleurs que dans les villes.
Il faut aussi s’interroger sur les effets de la nature sur notre santé et le bien être humain. Des études très documentées ont émergé ces dix dernières années. On relève un grand nombre d’effets positifs :
- un effet physiologique bienfaisant sur l’activité cérébrale, la diminution du stress et des troubles anxieux,
- une amélioration de l’humeur, de l’attention, de la mémoire et de la créativité,
- des bénéfices sociaux avec une baisse des inégalités sociales, de santé.
La sylvothérapie permet une expérience multisensorielle et une meilleure connaissance des arbres.
Le public prend la parole.
En milieu scolaire il y a un réaménagement des cours d’école. Alix Cosquer a constaté que les enfants avaient des relations plus faciles avec les insectes qu’avec les végétaux.
Des auditeurs questionnent : Il faudrait peut-être commencer par s’interroger sur ce que c’est que la nature ? Fait-on partie de la nature ? La nature parle à tout le monde mais il faudrait apprendre aux jeunes comment une graine pousse.
Les discussions se poursuivent autour d’un apéritif dînatoire offert par l’association.
[1] Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat



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Régine Paris
avec la relecture d’Yves Caraglio