Regards croisés 2018

6e édition Regards Croisés
Des insectes et des plantes

Samedi 17 novembre 2018

Conférence-débat 

La soirée se déroule au Foyer de Beaulieu mis à disposition par la commune. La salle a été décorée avec des panneaux prêtés par la Maison Départementale de L’Environnement (MDE) de Restinclières (Prades-le-Lez) et des panneaux photographiques confectionnés par Liliane Delattre qui a animé la veille une soirée autour de la fable de La Cigale et la Fourmi à la bibliothèque de Restinclières. À notre demande Jean-Pierre Almès, apiculteur à Saint-Drézery, a installé un échantillon de ses miels. Sur une autre table on peut découvrir quelques publications des Ecologistes de l’Euzière sur les plantes et les insectes. Liliane Delattre expose également quelques-unes de ses créations artistiques (livre pour enfants, photophores, magnets, lampes).

Jean-Pierre Fels, président de l’ARBRE, ouvre la soirée avec la présentation des intervenants :

  • Stéphane JAULIN de l’Office Pour les Insectes et l’Environnement (OPIE)
  • Etienne LUCAS, étudiant en Master2 Ecosystèmes
  • Bertrand SCHATZ du CNRS-Montpellier, spécialiste de la pollinisation
  • Jean-Pierre ALMES, apiculteur à Saint-Drézéry.

Yves Caraglio, chercheur au CIRAD, en charge de la logistique scientifique de l’association assurera l’animation de la soirée.

Nous saluons la présence d’Arnaud Moynier, maire de Beaulieu et de deux de ses adjoints, Marie-Paule Dusserre et Jean-Luc Bourdenx ainsi que la participation d’une quarantaine de personnes.

Yves Caraglio donne la parole à Stéphane Jaulin, entomologiste à l’OPIE, pour le premier exposé.

M. Jaulin attire l’attention du public sur la disparition en 40 ans de 45% de la population invertébrée, en même temps qu’un déclin de la diversité : les populations disparaissent avant les espèces. Il fait état d’une étude allemande qui conclut à une diminution de 76% des insectes volants, liée principalement à l’utilisation des pesticides. Pour la même raison, la population des oiseaux a décru de 30% en 15 ans.

On dénombre dans le monde 3,5 millions d’espèces d’oiseaux qui se sont adaptés à la vie terrestre. En France on a identifié 39 299 espèces d’insectes (INPP 2018). Ainsi ¾ des espèces sont des insectes. M. Jaulin déplore le retard pris au niveau de l’acquisition des connaissances.

Le décor étant planté, il aborde les principaux ordres  d’insectes : éphéméroptères, odonates (libellules), orthoptères (grillons), plécoptères, coléoptères (coccinelles, scarabées…), lépidoptères (papillons), diptères (moustiques), hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis) et ce n’est pas fini… des groupes sont encore inconnus !

Il évoque ensuite quelques éléments de biologie : des insectes revêtent des  formeset des couleurs très varies, avec des ailestrès variables selon les groupes. Les ultraviolets permettent de faire de nouvelles découvertes ; des cycles biologiquesdifférents (métamorphose incomplète/métamorphose complète (papillon) ; des modes de reproduction sexué (accouplement en quelques secondes ou quelques heures) ou par parthénogenèse (phasme, magicienne dentelée) ; des régimes alimentairesdifférenciés (coprophage, détritivore, insectivore, hématophage, phytophage, nectarivore, suceurs de sève, xylophage (bois mort) ; plusieurs modes de déplacement(vol, marche, saut) ;  une communicationvisuelle (lucioles, vers luisants), sonore (cigales -22 espèces en France mais en déclin), chimique (phéromones), tactile. Attention : le port de la couleur rouge signifierait « je suis méchant “Avis aux amateurs !”

Une telle variété d’insectes amène à se demander : A quoi ça sert ?

M.Jaulin s’empresse de nous rassurer. Les insectes assurent :

  • la pollinisation : son absence entrainerait la disparition de 85% des fleurs !
  • la régulation
  • un réservoir alimentaire y compris pour les hommes : 1200 espèces sont consommées dans le monde
  • le recyclage des matières organiques
  • ce sont des bio-indicateurs pour surveiller la santé des milieux naturels,
  • du matériel biologique.

Leur mauvais côté : les insectes sont vecteurs de maladie (paludisme, chikunguna), ravageurs de cultures et de denrées alimentaires. 

Mais ils sont aussi des auxiliaires de l’agriculture (coccinelles), parfois un outil d’identification en criminologie (datation de la mort).

Bien que très menacés, ils nous survivront quand nous aurons disparu ainsi que les mammifères. 

Ce qui les menace : la fragmentation des habitats, les destructions directes et indirectes (pesticides, changements climatiques), la pollution lumineuse et atmosphérique, les espèces invasives. D’autres menaces : intensification agricole, abandon de l’agriculture en moyenne montagne, sécheresse climatique, sylviculture intensive, pression touristique, gestion inconsidérée, urbanisation, feux… Pour toutes ces raisons, il est urgent de mener une réflexion sérieuse sur l’aménagement du territoire.

Une étude récente  menée sur 38 espèces en France de 1980 à 2000  a révélé la disparition totale de certaines espèces de notre territoire national.

Les principaux programmes de conservation en France ont pour but l’amélioration des connaissances, la protection et la gestion (ZNIEFF, conventions Cités, Natura 2000), la communication et la sensibilisation, la réglementation (la Convention de Bonn en 1979, une convention européenne en 1992). On ne s’intéresse aux insectes que depuis 200 voire 300 ans. C’est récent. Les critères sont souvent esthétiques et concernent les plus grosses bêtes et les plus jolies. Il faudrait revoir les listes et les critères plus ou moins scientifiques qui président à leur confection. La réussite est mitigée. Il y a des mutations. On a ainsi découvert trois nouvelles espèces de libellules.

Après ce panorama très complet illustré d’un joli diaporama, Yves Caraglio remercie l’intervenant et donne la parole à Etienne Lucas, étudiant en Master 2, qui va nous parler d’une étude qu’il a menée sur la pollinisation. 

Son propos porte sur les plantes trompeusesqui, dépourvues de nectar, se parent de leurs plus beaux atours au moyen d’une floraison précoce afin d’attirer des insectes naïfs, souvent jeunes. Elles exploitent tout simplement des pollinisateurs. C’est le cas d’un tiers des orchidées qui fleurissent tôt. Il en est ainsi de l’ophrys jaune pollinisée par une jeune abeille. L’ophrys bécasseexploite les petites abeilles. La barlie de Robert(1) a une grosse inflorescence précoce (plusieurs dizaines de fleurs). Ses pollinisateurs sont le bourdon, le xylocope. L’iris naina deux couleurs –jaune et violet- et attire les bourdons, les abeilles solitaires et les xylocopes. L’arum d’Italieodorante attire la mouche papillon femelle et les diptères.

Cette intervention surprenante a constitué une petite récréation avant de retourner dans le « dur ».

(1) L’orchis géant, ou orchis à longues bractées est une espèce d’orchidée terrestre européenne. Elle fut d’abord décrite sous le nom d’Orchis robertiana par Loiseleur, qui l’avait dédiée à son ami botaniste G.-N. Robert. En 1967, après révision taxinomique, elle prit le nom de Barlia robertiana(Wikipedia)

Yves Caraglio remercie Etienne et donne la parole à Bertrand Schatz du CNRS qui s’est intéressé à un moment donné aux savoirs locaux portant sur l’utilisation du bois de châtaignier en apiculture cévenole. Ce travail est issu d’une thèse. 

Pour comprendre l’histoire de l’apiculture, il faut se souvenir des différentes étapes qu’elle a connues :

  • La collecte dans la nature
  • Les ruches fixes traditionnelles en bois, en paille, en écorce de bois
  • Les ruches modernes avec la transhumance et la pollinisation industrielle.

Cette étude a porté principalement sur les ruchers-troncs en Cévennesinstallés sur des terrasses et qui ont quelques 150-200 ans. Il a procédé sur le terrain à la collecte de ce savoir local. Pour illustrer son propos, Il projette des photos de ruchers-troncs  composés d’une lauze de base, d’un tronc évidé et d’une lauze de couverture. Il nous montre des schémas explicitant la fabrication et le fonctionnement de ces ruchers « exotiques » pour le commun des mortels. Il nous dit tout sur la collecte des essaims, le nettoyage des ruches au printemps, la récolte du miel en été. Il a ainsi pu décompter 323 ruchers-troncs en Cévennes, intégrés autrefois à des écoles ou installés en forêt, généralement situés à une altitude minimum de 660 m, avec une exposition sud et sur un terrain schisteux.

Une partie des 365 ruches du grand rucher-tronc au site «Les Balmelles» près de Villefort

Pour des raisons de conservation et d’intérêt touristique, le Parc des Cévennes assure désormais une protection de ce patrimoine naturel et culturel.

Dans le cadre de cette étude, Bertrand Schatz a consulté les archives du Gard et de la Lozère. Il en a conclu que l’abeille noire existait à l’époque de la Préhistoire, qu’en 464 après J.C. les Romains connaissaient cette zone fertile en miel (ruchers en paille ?), qu’en l’an 1000, on plantait des châtaigniers en Cévennes. En 1226, il est attesté l’existence de ruchers et de « bigres » : des collecteurs de miel. La cire et le miel ont semble-t-il constitué une monnaie. On retrouve la trace attestée de ruchers-troncs vers l’an 1500. En 1627 il est fait mention des bigres dans des actes notariés. Une gravure de 1774 atteste de leur existence et de leur manière de récolter le miel.

Gravure de 1774 de Johann Georg Krünitz (1728-1796) montrant à la fois la collecte de miel dans les arbres et la confection d’une ruche-tronc.

Les années 1800 constituent l’âge d’or de l’apiculture traditionnelle avec les ruches-troncs.  A partir de 1900 on voit apparaître les premières ruches à cadres. Aujourd’hui on peut parler du déclin de la ruche-tronc. En 1950, arrivée de nouvelles races d’abeilles. En 2000 on esquive un retour à la ruche-tronc pour le tourisme. Elle constitue un objet décoratif (coût de 300€ environ contre 150€ pour la ruche à cadres). Elle est moins productive (1 à 5 kg contre 10 à 40 kg pour la ruche à cadres). Elle est aussi destinée à une culture sédentaire et plus sensible aux maladies. Construite localement elle offre une économie optimisée. A côté, la ruche à cadres est mobile et permet la transhumance, fabriquée en matériau non local, elle offre une économie maximisée.

Les arguments qui plaident en sa faveur : l’ambiance à l’intérieur de la ruche est régulée, le bois de châtaignier est bénéfice à la colonie : il repousse le varroa, destructeur de parasites.

Pour en savoir plus, le conférencier conseille la lecture  du livre  intitulé : Les routes du mield’Eric Tourneret.

Le public s’est montré très intéressé par ces trois interventions. Quelques questions ont été posées aux intervenants qui se sont efforcés d’y répondre.

Pour clore la soirée Yves Caraglio donne la parole à Jean-Pierre Almès, apiculteur à Saint-Drezéry qui expose tout simplement son goût et son savoir-faire, hérité de son père, apiculteur. Son témoignage est le bienvenu après les exposés théoriques. 

À 22h, les intervenants et les auditeurs sont invités à poursuivre les échanges autour de quelques agapes offertes par l’ARBRE.

Bertrand Schatz, Stéphane Jaulin, Yves Caraglio, Jean-Pierre Almes, Lucas Étienne et Liliane Delattre. (Article Midi Libre)

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Régine Paris avec la relecture attentive d’Yves Caraglio

Publié le 23 novembre 2018, dans Conférences débats, et tagué , . Bookmarquez ce permalien. Poster un commentaire.

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